AFFAIRE DES « RECLUS DE M... » : QUEL A ETE LE ROLE DU NOTAIRE ET QUELLE GARANTIE SON INTERVENTION A-T-ELLE APPORTE ?
Un article de Ouest-France (signé Pierrick BAUDAIS) revient sur cette drôle d'affaire, dans laquelle une famille « sous l'emprise d'un gourou pendant 10 ans » veut récupérer son château.
Extraits :
« La famille de V... saura ce jeudi après-midi si elle peut récupérer la propriété du Lot-et-Garonne qu'elle a vendue, alors qu'elle était sous l'emprise d'un gourou.
Le château de M..., restauré en 1862 et situé à M... (Lot-et-Garonne), appartient à la famille de V... depuis le XVIIème siècle. Mais le 29 janvier 2008, devant notaire, elle vend cette propriété à la SCI Y..., gérée par …, pour la somme de 460.000 €.
Sept ans plus tard, la famille souhaite récupérer son ancienne bâtisse qui, depuis, a été vendue à une tierce personne. L'audience s'est déroulée le 9 juillet devant le tribunal de grande instance d'Agen. La décision doit être rendue ce jeudi après-midi. La famille, elle, reste convaincue du bien-fondé de sa démarche.
Pas sain d'esprit
Me P..., l'avocat des de V..., fait valoir un argument de poids : l'article 414-1 du Code civil : « Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit ». Or, rappelle l'avocat, pas moins de onze membres de cette famille – surnommés les reclus de M... - ont été sous l'emprise d'un gourou, T..., de 2000 à 2009. Parmi eux, un médecin et une chef d'entreprise.
Par deux fois, en première instance et en appel, la justice a condamné cet homme pour avoir abusé de ces personnes « en état de sujétion psychologique ou physique ». Dix ans de prison ferme en appel. Le psychiatre D... qui a examiné les membres de cette famille, a confirmé qu'elles étaient « en état d'emprise mentale ».
L'emprise de T... était telle qu'il avait astreint Mme de V..., 58 ans à l'époque, documentaliste de formation, à rester assise sur un tabouret durant près de deux semaines. Il avait aussi convaincu la famille qu'elle était la cible d'un complot orchestré par les Renseignements généraux …
Le rôle trouble du notaire :
Dans sa procédure, l'avocat de la famille de V... vise aussi le notaire qui a permis la vente du château. Pourquoi cette propriété, située sur un terrain de 1,6 ha, n'a-t-elle été vendue que 460.000 €, alors qu'elle était estimée à 1,2 millions d'euros ? Ce 29 janvier 2008, le représentant de la famille de V... était venu signer un contrat de prêt, assorti d'une garantie hypothécaire.
Pourquoi le notaire qui, le jour même, avait reçu une lettre anonyme l'informant de la situation dans laquelle se trouvait la famille de V..., a-t-il refusé le prêt, mais a accepté de rédiger un acte de vente ?
Pourquoi enfin, en plus de l'acte de vente, le même jour, une convention de revente a été signée ? Celle-ci stipulait que cinq ans plus tard, la SCI Y... revende le château à la famille de V... au prix de 850.000 € ?
Malgré les arguments de cette famille, il ne lui sera pas aisé de retrouver son bien. Entre-temps, la bâtisse et le terrain ont été revendus à un troisième propriétaire (au prix de 560.000 €). Et ce dernier, bien sûr, réclame que la demande des de V... soit rejetée. »
Le jugement de cet après-midi devrait nous en dire plus sur « le rôle trouble du notaire » (pour reprendre la formule de Ouest-France), et quelle garantie son intervention obligée a apporté tant aux vendeurs qu'à l'acquéreur de la propriété.
Jugement :
Dans son jugement en date du 17 septembre, le tribunal d'Agen a annulé la première vente, considérant que les membres de la famille de V... « ont été affectés d'une altération du discernement et de leurs capacités de raisonnement et de jugement, confinant à l'insanité d'esprit ».
En revanche, le tribunal a précisé que la nullité de cet acte n'était pas opposable à l'actuel propriétaire, qui avait acquis le château de la SCI Y.... Le tribunal a estimé que ce second acquéreur est « un tiers de bonne foi », et qu'il conserve donc la propriété.
Pour ce qui est du notaire, considérant qu'il a « commis une faute à l'endroit des consorts de V... » et « engagé sa responsabilité civile » dans cette opération, le tribunal l'a condamné à payer, à titre de dommages et intérêts, 200.000 euros à la famille de V..., et 490.000 euros à la SCI Y..., premier acquéreur du château.
Les juges ont estimé que ce notaire ne pouvait pas ignorer les conditions douteuses dans lesquelles la vente s'était déroulée.