UN NOTAIRE JUGE AUJOURD'HUI POUR ABUS DE CONFIANCE, POUR AVOIR TENTE DE VENDRE UN MANUSCRIT DE CHATEAUBRIAND EN DEPOT A SON ETUDE
Les médias se font l'écho du procès qui se tient aujourd'hui au tribunal correctionnel de Paris, à l'encontre d'un notaire qui a tenté de vendre le manuscrit des « Mémoires d'outre-tombe » déposé à son étude par Chateaubriand.
Extraits d'un article du Figaro daté du 10 septembre :
« L'une des versions des Mémoires d'outre-tombe était dans la famille de Pascal D … depuis des générations. Le notaire estime qu'il était en croit de la vendre. Le parquet de Paris y a vu un potentiel abus de confiance.
On ne présente plus François-René de Chateaubriand (1768-1848). On connaît moins, en revanche, Pascal D..., 58 ans, notaire à Paris. Ce dernier doit comparaître ce jeudi matin devant le tribunal de Paris pour avoir cherché à vendre le seul manuscrit intégral connu des Mémoires d'outre-tombe. Le parquet, qui a délivré une citation directe, voit dans cette démarche un abus de confiance au préjudice des descendants de l'écrivain.
En 1836, le vicomte a entamé la rédaction de ses fameux Mémoires, dont il semble pressentir qu'ils passeront à la postérité. A court de fonds, il en cède pour 156.000 francs plus une rente viagère, les droits à une société qui n'a qu'un seul but : éditer l'ouvrage une fois achevé, c'est-à-dire après la mort de l'auteur. Les éditeurs, MM. Delloye et Sala, reçoivent une copie du manuscrit inachevé. Le châtelain de Cabourg en garde une, qu'il enrichira jusqu'à son dernier soupir. Par sécurité, une troisième copie est déposée chez un notaire, Me Cahouet, dans une caisse forte – il faut trois clés pour ouvrir celle-ci, respectivement en possession de l'officier ministériel, de l'éditeur et de l'auteur. En 1847, une version très augmentée lui est substituée : 3.514 feuillets répartis en 42 portefeuilles. Fidèle à sa réputation de joyeux drille, Chateaubriand écrit : « Voici tous mes manuscrits compris généralement sous le nom de Mémoires. Ils commencent par ces mots (…) et finissent par ceux-ci : « Il ne me reste qu'à m'asseoir au bord de ma fosse après quoi je descendrai hardiment le crucifix à la main devant l'Eternité ».
A la mort du grand homme, en 1848, son chef d'oeuvre est publié, puis la société éditrice est dissoute, puisqu'elle n'a plus d'objet. Une seule des dernières volontés de l'écrivain, consignés dans son testament, n'a pas été respectée : les diverses versions des manuscrits n'ont pas été « brûlées sans être lues ». Celle du notaire, que MM. S... et D... ont consultée afin de s'assurer de quelques passages des Mémoires, n'est désormais plus protégée par la cassette aux trois serrures : elle reste à l'étude, ne suscitant longtemps l'intérêt de personne.
Me Cahouet passe la main à son clerc, Jean D... . Son fils Napoléon lui succède. Puis son petit-fils Jean. Puis son arrière petit-fils Léon. Puis son arrière arrière petit-fils Pascal, celui-là même qui est convoqué au tribunal.
Car ce dernier, en 2013, a voulu céder le manuscrit que son aïeul Napoléon avait pris soin de faire relier, et dont la valeur est estimée à un demi-million d'euros. Son existence, connue comme le loup blanc, attire à son étude chercheurs et thésards, ce qui donne bien du souci au notaire. Lequel se rapproche d'un commissaire-priseur ami, afin d'organiser une vente publique, et d'obtenir le permis d'exporter, le cas échéant, les feuillets noircis à la plume d'oie et annotés de la main de Chateaubriand. ...
POTENTIEL ABUS DE CONFIANCE
C'est là qu'intervient le parquet, mis au courant du projet immédiatement stoppé. Pascal D... a beau expliqué qu'il a plusieurs fois approché, en vain, la Bibliothèque nationale pour lui céder le manuscrit, qu'il est persuadé d'en être le légitime propriétaire, qu'il a prévenu, par politesse de lointains descendants de l'auteur, rien n'y fait.
Pour le ministère public, il y a un potentiel abus de confiance (délit passible de 3 ans de prison), le manuscrit est placé sous scellés, et l'on part à la recherche des ayants droit de l'écrivain, mort veuf et sans enfant. On en trouve, en la personne de Guy de La Tour du Pin Verclause, descendant du frère aîné de Chateaubriand, retenu par les services du procureur comme victime présumée de Me D..., mais qui ne porte pas plainte.
... »
Les commentaires qui font suite à cet article du Figaro semblent, en quasi-totalité, tout droit sortis du service "communication" du Conseil supérieur du notariat (CSN). Ils font l'impasse sur le coeur du procès (le notaire est-il propriétaire et peut-il donc vendre le manuscrit déposé à son étude par l'éditeur de Chateaubriand ?), et dédouanent a priori le notaire en chargeant au maximum le procureur qui a pris - comme il le devait - l'initiative des poursuites.
Le notaire Pascal D... est donc jugé aujourd'hui pour abus de confiance aggravé (s'agissant d'un officier public) par "détournement de fonds, valeurs ou biens quelconques, en l'espèce la copie des Mémoires d'outre-tombe de François-René de Chateaubriand, 3.523 pages reliées en dix volumes".
Ce procès emblématique devrait, logiquement, confirmer que le notaire dépositaire d'un document n'en est évidemment pas le propriétaire, et que par suite il ne peut pas le vendre.
Naturellement, nous rendrons compte, ici, de l'issue de cette procédure pénale à l'encontre du notaire (le jugement sera rendu le 10 décembre) … et de ce qui reste quand même une mauvaise affaire pour la corporation au moment précis où les décrets d'application de la loi Macron doivent déterminer le degré de liberté laissé aux diplômés notaires pour créer leur propre office.
Alors que, depuis plus d'un an, la corporation commmunique sans finesse ("Sabrina", "Notaires Furibards", menaces sur les ministres et parlementaires, lobbying agressif, ...) sur l'inaptitude supposée des diplômés notaires à créer et diriger un office (seuls les clans déjà en place ayant génétiquement toutes les vertus nécessaires !), on doit quand même considérer, à la lumière de cette malheureuse affaire (et des autres régulièrement relatées sur ce blog), qui met en cause toute une dynastie de notaires implantée à Paris depuis Chateaubriand, que les « notaires Macron » ne seront pas moins rigoureux que les « notaires 1816 » dans le respect des principes fondamentaux qui régissent leur profession.