« LES NOTAIRES SOUS L'OCCUPATION » : UN ARTICLE DANS « SUD-OUEST » ET UNE CONFERENCE-DEBAT A BORDEAUX LE 12 JANVIER
« Sud-Ouest » consacre une demi page à l'ouvrage de référence « Les notaires sous l'Occupation » de Vincent Le Coq et Anne-Sophie Poiroux, et annonce une conférence-débat par ces auteurs demain mardi 12 janvier à partir de 18 heures à la librairie Mollat à Bordeaux.
Extraits de l'article de « Sud-Ouest » :
DOMINIQUE RICHARD : d.richard@sudouest.fr
« Occupation : l'attitude des notaires fait débat
HISTOIRE : La mission Mattéoli d'étude sur la spoliation des biens des Juifs les avait en grande partie absous. Un livre les met violemment en cause.
Le 27 décembre dernier, le gouvernement a autorisé la libre consultation, « avant l'expiration des délais prévus », des archives relatives à la Seconde Guerre mondiale. Les restrictions et les chicaneries qui compliquaient le travail d'investigation sur le régime de Vichy devraient donc s'effacer. Les dernières zones d'ombre d'une période qui a été malgré tout explorée devraient progressivement se dissiper. Notamment celle concernant le rôle des notaires dans la spoliation des biens juifs.
La profession s'est souvent abritée derrière la loi, qui n'autorise l'accès aux minutes et répertoires des études qu'après une période de soixante-quinze ans. « Cette farouche volonté de faire obstacle à la connaissance du passé a efficacement entravé le travail des chercheurs », accusent Vincent Le Coq et Anne-Sophie Poiroux. Cela n'a pas empêché le duo de combler le vide existant et de publier la première étude nationale sur le sujet (lire ci-contre).
300.000 personnes spoliées
« Le notariat a massivement participé à la spoliation des juifs », insistent les deux auteurs . Entre 1938 et 1942, à l'échelon national, on assiste au presque doublement du chiffre d'affaires et des honoraires perçus, du fait de la participation de la profession au processus dit d' « aryanisation ». Celui-ci vise à éliminer l'influence juive de l'économie. Il se traduira par la dépossession de près de 300.000 personnes.
Si les premières mesures sont prises par les Allemands en zone occupée, le gouvernement de Vichy, obsédé par sa souveraineté, obtient des nazis, en 1941, le pouvoir de conduire cette politique d'exclusion. Menée par les 1000 employés du Commissariat général aux questions juives, elle s'appuiera sur la loi du 22 juillet 1941 qui dépouillera les israélites de près de 50.000 entreprises , immeubles et biens, en confiant leur vente à des administrateurs provisoires.
L'intervention des notaires est indispensable pour établir les nouveaux actes de propriété. Jusqu'en 1942, à l'image de l'immense majorité des Français, ils sont pétainistes. Et tout comme un grand nombre de juristes – magistrats, avocats, universitaires -, il s'accommodent de l'émergence d'un droit antisémite qu'ils appliquent loyalement.
« La vente doit être faite avec l'administrateur et sans le concours du juif », insiste Charles Collet, le président des notaires parisiens, en présentant le nouveau texte de loi à ses collègues.
Soixante-quinze ans plus tard, le Conseil supérieur du notariat, seul habilité à parler au nom de la profession, s'en tient prudemment aux conclusions consignées en 2000 dans le rapport de la Mission Mattéoli d'étude sur la spoliation des Juifs de France (1). Ses rédacteurs jugeaient alors que la politique d'aryanisation n'avait pas suscité un grand enthousiasme chez ces officiers ministériels.
« Ils ne voient pas d'un bon œil les ventes forcées. Chargés de conseiller leurs clients, ils ne sont pas sûrs que de telles acquisitions soient pleinement valables. Ils veillent donc à ce que leurs actes ne puissent être attaqués, et ils deviennent plus formalistes qu'à l'ordinaire », observait la mission Mattéoli.
Selon Vincent Le Coq et Anne-Sophie Poirous, ces réticences s'expliquent non par un sursaut moral, mais par la crainte de voir leur responsabilité engagée. « A la lecture de la correspondance échangée avec le Commissariat aux questions juives, il apparaît que nombre de notaires se sont montrés zélés à mener à bien les ventes et à préserver les intérêts de leurs seuls clients aryens », écrivent les deux auteurs, en citant l'exemple d'une lettre adressée par le président de la chambre des notaires de Bayonne et Saint-Palais.
Des fonds conservés
D'autres officiers ministériels versent carrément dans la délation, à l'image de ceux de Mirepoix ou de Châteauneuf-du-Pape, qui signalent des aryanisations simulées ou dressent des listes de personnes présumées juives. Il est difficile, malgré tout, de plaquer des jugements à l'emporte-pièce sur la corporation.
« La loi de juillet 1941 dépouille les Juifs de près de 50.000 biens, entreprises , bâtiments »
En mai 1944, à la veille du débarquement, l'assemblée générale des notaires du Vaucluse renouvelle certes au Maréchal Pétain « l'hommage respectueux de son admiration ». Mais, quelques mois plus tard, un de leurs confrères de la Vienne, qui avait eu le malheur de souhaiter publiquement la victoire des Alliés, est torturé par la Milice et jeté dans un puits, après avoir eu les yeux arrachés.
Ces avis contradictoires apparaissent aussi à la lecture du rapport de la mission Mattéoli. Celle-ci constate qu'en 1943, le Commissariat général aux questions juives reprochait aux notaires une « obstruction qui prend parfois un caractère systématique et généralisé à faire obstacle à l'application de la loi loi ». Mais elle relève aussi que les notaires ont conservé sous l'Occupation des fonds résultant des ventes qu'ils auraient dû reverser, comme la loi les y obligeait, à la Caisse des dépôts et consignations.
Epuration évitée
« Les notaires parviendront, au lendemain de la guerre, à éviter à la fois les mesures d'épuration et les obligations de restitution, constatent Vincent Le Coq et Anne-Sophie Poiroux. Les mettre en accusation aurait mécaniquement conduit à révéler l'implication de l'appareil d'Etat dans l'aryanisation de même que le bénéfice qu'il en a retiré, ce que le général de Gaulle souhaitait éviter à tout prix, afin de préserver la réputation d'une administration qu'il jugeait nécessaire au redressement national. »
En 1945, la lettre au garde des sceaux du président des notaires ruraux demandant « l'épuration du Conseil supérieur du notariat dont tous les membres ont été choisis par Vichy » restera vaine. Deux ans plus tôt, deux des membres éminents de ce conseil avaient été qualifiés de « sincères antijuifs » par le directeur de la propagande du Commissariat aux questions juives dans une lettre adressée à heintz Rothke, l'un des organisateurs de la rafle du Vel-d'Hiv.
A la Libération, le notariat, dont l'organisation actuelle a été mise en œuvre sous Vichy, retombera rapidement sur ses pieds. Au point d'obtenir de l'Etat une hausse substantielle de ses tarifs, équivalente à 30 % de ses revenus.
DEBAT CHEZ MOLLAT
Vincent Le Coq est maître de conférences en droit public à l'université de Toulouse. Anne-Sophie Poiroux est avocate en Provence, après avoir exercé le métier de notaire. Le mardi 12 janvier, à partir de 18 heures, ils animeront une conférence-débat à la librairie Mollat, à Bordeaux, autour de leur ouvrage, « Les notaires sous l'Occupation (1940-1945) », publié aux éditions Nouveau Monde (24 €).
(1) Joint par nos soins, le Conseil supérieur du notariat n'a pas souhaité s'exprimer. »
Merci à « Sud-Ouest » d'apporter sa contribution à l'émergence de la vérité sur ce volet essentiel du rôle des notaires dans la spoliation des Juifs, obstinément occulté par la corporation depuis plus de 70 ans.