UNE TRES INTERESSANTE ANALYSE DU « MONDE » SUR LA MODERNISATION DE LA PROFESSION DE NOTAIRE
Un correspondant nous signale cet article paru dans « Le Monde » du 7 octobre (extraits) :
« Le gouvernement veut ouvrir le jeu pour favoriser le pouvoir d'achat et la création d'entreprise.
L'impossibilité pour les jeunes de s'installer à leur compte finit par créer une vraie fracture générationnelle.
Le cas des notaires est emblématique du mal français. Alors qu'en 30 ans la population française a gagné 10 millions d'habitants, le nombre d'études notariales est passé d'un peu plus de 5.100 à 4.550, compte tenu des fusions. Pour faire face à l'explosion de la demande - + 75 % entre 2002 et 2011 – ils n'ont créé que très peu d'études (17 par an depuis cinq ans), et n'ont recruté qu'un millier de salariés en dix ans.
Aussi, sur cette décennie, les revenus des titulaires ont-ils grimpé de 61 %. Le problème n'est pas en soi qu'ils gagnent beaucoup d'argent. C'est que 8.400 seulement captent l'intégralité de la croissance, en bloquant l'entrée de nouveaux acteurs par le système du « droit de présentation » qui date de 1816. En clair, l'impossibilité pour les jeunes de s'installer à leur compte les condamne à accepter un déclassement durable … sauf à être fils de notaire.
Outre qu'elles limitent considérablement l'emploi, ces restrictions à l'accès ont fini par crée une véritable fracture générationnelle : « Elles sont le symptôme d'un pays où les vieux se sont organisés pour protéger leur entreprise contre la menace des jeunes », résume Francis Kramarz, patron du laboratoire du Centre de recherche en économie et statistique à l'Ecole nationale de la statistique et de l'administration économique. De fait, elles sont brandies par les acteurs en place pour empêcher les start-up d'émerger. Les notaires ont attaqué le site Testamento, les avocats se sont battus contre la plateforme Internet Demanderjustice.com ou encore les auto-écoles ont tenté d'arrêter Auto-école.net, ou le site Ornikar. La défense de leur pré carré est plutôt virulente.
Il faut dire que les tarifs qu'ils ont pratiqués, sur les actes de la vie comme sur les transactions immobilières sur lesquelles ils perçoivent des revenus proportionnels à la valeur des biens, ont été fort généreux. Fixée par la chancellerie, la tarification des actes n'a jamais tenu compte des économies réalisées grâce à l'informatisation de leur office et à la dématérialisation des procédures. Quant aux transactions immobilières, qui représentent la moitié de leur activité, elles ont explosé en volume et en valeur. Résultat : pour un même service rendu, la rémunération d'un notaire a crû de 68 % en trente ans.
Est-ce si grave, plaident les notaires, si c'est le prix à payer pour la sécurité juridique de nos clients ? Oui, parce que les frais juridiques sont en France beaucoup plus chers qu'ailleurs, où la propriété n'est pas particulièrement bafouée. En clair, résume l'économiste, professeur à l'université d'Aix-Marseille, Gilbert Cette, « la surrémunération des notaires est une ponction sur les revenus de tous ceux qui sont amenés à faire des transactions immobilières, c'est-à-dire sur toute l'économie ».
Clairement, toutes ces réglementations se paient, partout, de services trop chers, et pas seulement la rédaction d'actes notariés : permis de conduire, signification des décisions de justice, information sur les sociétés, vente de médicaments hors prescription, etc.
D'ailleurs, il y a une corrélation qui n'a pas échappé à la vigilance de l'IGF : plus les professions sont soumises à des réglementations, plus elles sont rentables. Une « surprofitabilité » qui se fait bien sur le dos de tous les acteurs. Et ce d'autant, relève Antoine Goujard, économiste à l'OCDE, « qu'avec 229 réglementations des professions, la France est le troisième pays le plus réglementé des pays européens, derrière la République tchèque et le Portugal ». Contre 152 en Allemagne, 170 en Italie et 185 en Espagne. « Et, ajoute Antoine Goujard, si l'on analyse la nature des restrictions à l'entrée et à l'exercice, c'est le quatrième le plus fermé de toute l'OCDE ».
Effet sur la qualité du service :
« Toute ouverture à la concurrence se traduit par une baisse rapide des prix », dit Gilbert Cette. Lorsque, en 2006, l'Italie permet aux grandes surfaces de vendre des médicaments hors prescription, ces dernières proposent des prix inférieurs de 25 % en moyenne à ceux des officines. En réaction, celles-ci abaissent les leurs de 15 % environ.
Pour Gilbert Cette, tout est bon à prendre : « C'est une accumulation de petites baisses qui fera baisser pour tous le prix des services professionnels trop chers. »
« Instaurer la liberté d'installation, c'est d'abord permettre la création massive d'emplois », dit M. Cette, citant l'exemple des taxis irlandais. Lorsque en 2000 l'Irlande supprime ses quotas de taxis, le nombre de licences est passé de 4.000 à plus de 16.800 en 2007. Et le temps d'attente des clients s'en trouve divisé par deux. L'effet sur l'emploi et la qualité du service est donc visible. Une ouverture des taxis en France aurait ainsi créé des emplois par dizaines de milliers, 40.000 a calculé l'OCDE. Et ce, dans toute la France.
Dès lors, quel sera l'effet sur l'emploi de la liberté d'installation chez les notaires et les huissiers, autant de professions où les effectifs se comptent en quelques milliers, voire en dizaines de personnes chez les greffiers des tribunaux de commerce et les administrateurs judiciaires ?
Pourtant, ce ne sont peut-être pas les bataillons existants qui sont déterminants : « Ce qui compte, dit Françis Kramartz, ce sont les enterprises à naître, à partir de nouveaux procédés et de nouveaux services, et dont le nombre est imprévisible ». En somme, les start-up appelées à grandir. Donc peu d'emplois au début, mais très vite un renouvellement sociologique des professions concernées. « Lorsqu'une profession s'ouvre, cela crée un afflux de nouveaux entrants, tandis que d'autres sortent, entraînant une réorganisation du secteur concerné avec de nouveaux acteurs », dit l'économiste Pierre Cahuc. Là est d'ailleurs sans doute la difficultés pour la pédagogie de la réforme, comme l'explique Francis Kramarz : « Si les perdants de cette réforme se reconnaissent et crient très fort, la plupart des gagnants s'ignorent encore, car ils sont à venir. »
Mais plus que les prix, c'est l'innovation et les gains de productivité qui sont les effets recherchés les plus importants de la réforme, avec ses deux piliers : la liberté d'installation et l'ouverture du capital. Free, Uber, Leboncoin ou Airbnb hier, Demanderjustice.com, Auto-ecole.net, Ornikar aujourd'hui : les nouveaux entrants arrivent toujours avec des solutions nouvelles, plus efficaces et moins chères pour les clients.
Avec eux, toute la profession est contrainte de réinventer pour faire des économies.
« Surtout lorsqu'on ouvre le capital à des tiers, précise Pierre Cahuc, car on élève le niveau d'investissement de la profession, on gagne en productivité, des gains que l'on redistribue aux clients pour gagner des parts de marché. » Si cela peut détruire des emplois dans la profession concernée, les clients, eux, utilisent ces gains de productivité pour consommer ou investir davantage. « Ce sont ces gains indirects d'une politique d'ouverture qui sont les plus importants, car ils se transmettent à toute la chaîne », explique Gilbert Cette, qui a fait tourner ses modèles.
« Financiarisation »
C'est tout l'effet que Bercy attend de la réforme. « A dix ans, ajoute Gilbert Cette, les seuls gains de productivité, directs et indirects, de l'ouverture des professions réglementées, s'élèvent à 1 point de produit intérieur brut. Et ce, sans même tenir compte des effets sur le pouvoir d'achat ou sur l'emploi. C'est déjà beaucoup, même si c'est deux fois et demie moins que l'effet qu'aurait un assouplissement du marché du travail. »
S'il n'y avait qu'une seule raison d'être de la réforme, c'est celle-là : la liberté d'installation, couplée à l'ouverture du capital des professions libérales, est une main tendue aux nouvelles générations. Car si le syndicat des professions libérales, l'UNAPL, crie à la « financiarisation » de leur mode opératoire et à « l'invasion de groupes capitalistiques menés par les logiques de profit », cette ouverture permettra d'abord et avant tout aux jeunes diplômés de se lancer, avec l'argent de la famille, d'amis ou peut-être même d'investisseurs étrangers au métier.
« L'important est de permettre à des entreprises de naître, répète Françis Kramarz. Or ce sont les jeunes qui sont à l'origine des véritables innovations. » C'est des « digital natives » de moins de 30 ans que viennent les innovations, les plates-formes de services qui déclencheront changements d'organisation et regroupements entre acteurs spécialisés pour offrir des prestations moins chères et de meilleure qualité.
Ce sont eux qui développeront le marché. « Et qui embaucheront à leur tour les jeunes, pas les vieilles entreprises », ajoute Françis Kramarz. Là est le vrai pari de Bercy : s'appuyer sur cette génération pour booster la productivité française, et relever le fameux sentier de la croissance. »
Ce discours est à l'opposé de celui tenu par les notaires, de leur culture historique.
On comprend aisément que la discussion avec le ministère de l'Economie sur ces bases soit très difficile, voire impossible.
La compréhension avec la garde des Sceaux eut été plus facile, ... mais c'est une autre culture ... et c'était une autre époque !